Scripturas

Traductions

La fameuse figure rhétorique d’allitération ne se cantonne pas à la traduction d’œuvres littéraires, dans lesquelles le mode d’expression importe tout autant voire davantage que le mode de pensée ; concernant la traduction d’ouvrages pédagogiques, le but in fine en est la compréhension de l’idée exprimée, par-delà d’un mode de pensée qui nous est parfois (pour des raisons linguistiques ou culturelles) étrange ou étranger. A ce propos, nous pouvons contourner l’adage italien de deux manières essentielles, apparemment diamétralement opposées mais complémentaires :

– la traduction d’un mot de la langue à traduire non pas par un seul (comme généralement en littérature) mais par deux ou trois autres, qui en repréciseront et nuanceront les subtilités de langage. 

– la non-traduction du mot, chargé dans sa langue originelle d’un contexte et d’une histoire que ne pourra relater aucun autre mot dans une autre langue ; à titre d’exemple, le mot passaggio va revenir un nombre considérable de fois, autour de la pratique ornementale improvisée des années 1600. L’esprit s’oriente alors naturellement vers son parent à la racine latine commune « passage », en tant que première évidence de traduction ; or, notre passage est entièrement déconnecté de la notion de « passeggiare », ce verbe renvoyant au substantif « passeggiata », la flânerie, la promenade. Le « passaggio » comporte donc une notion poétique et rhétorique que ne reflète en rien le « passage » d’une note à l’autre, qui n’implique aucune notion ornementale (on peut soigner le passage d’une note à l’autre sans en rajouter aucune entre les deux).

On pourrait alors avoir recours au terme de « diminution », que l’on trouve également en Italie avec sa racine commune de « minuta » (minute) ou « diminuito » (épithète), voire (plus rarement) « diminutioni » (substantif). Or, il s’agit là d’une seule référence au processus rythmique de l’ornementation : la diminution d’une valeur longue en autant de notes de valeurs plus brèves, dont la totalité sera d’une valeur (généralement) identique. Par cette définition rationnelle et quasi mathématique, nous avons perdu toute notion de passage, voire de « promenade musicale » entre deux points donnés (que sont la note de départ et la note d’arrivée), nous permettant de découvrir de nouveaux paysages musicaux… grâce à cette promenade imprévue et improvisée !

En conclusion, tous les termes musicaux de ces textes en italien resteront ici majoritairement dans la langue de Dante : soit parce qu’elle s’est imposée depuis le xviiie  siècle comme langue internationale du vocabulaire musical (il est à priori inutile de traduire, auprès d’un lecteur mélomane sinon musicien : soprano, alto, adagio, presto, etc.), soit parce que ces termes trouvent des faux-amis dans leur traduction française (le soprano n’est pas qu’une soprane, le trillo n’est pas qu’un trille, l’accento n’est pas un qu’un accent… en français moderne s’entend !).

Enfin, le but de cette traduction n’est qu’un moyen pour s’approcher de plus près de la source vive, que sont ces textes didactiques datant de quatre siècles environ : les lire dans leur langue d’origine reste le meilleur moyen pour en comprendre la subtilité du mode d’expression et du mode de pensée, à même de nous conduire vers une compréhension toujours plus subtile, plurielle et nuancée. C’est ainsi que le monde fascinant de l’ornementation vocale et instrumentale, à chaque note improvisée, pourra continuer à rendre cette musique ancienne du passé toujours plus vivante de nos jours. 

  • Jean Tubéry, janvier 2022